Tout a commencé par un coup de foudre

Mon histoire d’amour avec Les Incomplètes a débuté par un coup de foudre : Édredon. Ce spectacle, que nous avions accueilli à L’Arrière Scène, Centre dramatique pour l’enfance et la jeunesse en Montérégie, où j’occupais alors le poste de directeur général, m’a littéralement renversé et ému. J’avais eu vent du travail de la compagnie, mais je ne m’attendais pas à une proposition théâtrale aussi touchante, aussi sensible et en phase avec les tout-petits auxquels il s’adressait, à un spectacle à ce point riche sur le plan formel. Je garderai toujours un souvenir émouvant de la projection d’un cœur-oiseau sur le personnage de la petite fille, de la rencontre avec « l’autre », de ces lampes « sonores », et de la beauté visuelle du spectacle. Les idéatrices d’Édredon manifestaient dès cette première création une grande générosité et un grand respect envers ce très jeune public qu’elles semblaient si bien saisir. Il leur avait aussi fallu un certain courage pour proposer, sans compromis, un spectacle pour tout-petits qui demandait dix heures de montage! De toute évidence, le temps passé au Théâtre les Gros Becs par certaines des codirectrices de la compagnie les avait nourries au plan artistique et avait stimulé leur intérêt pour le public des tout-petits. Le spectacle a reçu un accueil chaleureux et enthousiaste, plus que mérité, des petits, de leurs parents, des diffuseurs et de la communauté artistique.

Édredon portait déjà les germes de ce qui allait constituer leur signature et caractériser leur travail de recherche pour les productions à venir : le choix délibéré et constant de concevoir des projets artistiques de grande qualité pour les tout-petits, ce public en qui les créatrices font totalement confiance et à qui elles proposent des expériences multisensorielles signifiantes, l’exploration de tout le vocabulaire scénique à leur portée, incluant celui des nouvelles technologies, et le flair de s’entourer de collaborateurs de grand talent.

Eaux, leur deuxième création, s’inscrivait dans le sillon tracé par Édredon. Les créatrices ont su y traduire l’élément aquatique sans l’illustrer, y explorer la poésie du corps, la richesse de la sonorité parfois sensuelle parfois troublante de la contrebasse, et, à nouveau, y intégrer des curiosités technologiques qui conféraient un sentiment d’étrangeté ludique à cet univers sensoriel. Encore une fois, à mes yeux, une proposition pleine de sensibilité, courageuse, et sans compromis. La compagnie devenait dès lors, selon moi, un incontournable au Québec du théâtre pour les jeunes publics et de l’offre culturelle pour les tout-petits.

Les directrices de la compagnie sont indéniablement des chercheuses qui n’ont de cesse d’explorer de nouveaux territoires.

 Leur travail ethnologique de cueillette de berceuses gasconnes, innues et alsaciennes échantillonnées pour le spectacle-concert Les Matinées berçantes illustre bien l’éclectisme de leurs champs d’exploration. Que ce soit dans leurs projets muséaux, dans ce qu’elles appellent leurs Curiosités ou dans leurs actions culturelles, nous retrouvons toujours la même rigueur, la même considération et la même affection pour les publics auxquels elles s’adressent et un talent et une intelligence à chaque fois renouvelés. La prestation de Laurence et d’Audrey dans le spectacle Terrier, coproduit avec le Théâtre du Gros Mécano, a mis en lumière leur talent de comédiennes et confirmé leur grande complicité. C’était un réel plaisir de les voir évoluer ensemble sur scène. Et j’ai bien hâte de voir la nouvelle création de la compagnie, Depuis la grève.

S’ajoute à tout cet excellent travail artistique, une implication soutenue dans leur milieu. Je les sais très présentes et impliquées dans la communauté artistique de Québec et toujours prêtes à collaborer pour faire avancer l’offre artistique pour les tout-petits. Théâtres Unis Enfance Jeunesse (TUEJ) a eu la chance de compter sur l’expertise et le talent de Laurence P. Lafaille à la direction artistique du Forum sur les nouvelles écritures et pratiques numériques en jeune public et de l’accueillir au CA de TUEJ. Je connais son  investissement dans le Mois Multi. Et je la côtoie depuis peu au Conseil d’administration du Conseil québécois du théâtre.

À mon admiration pour l’activité professionnelle des directrices de la compagnie vient s’ajouter l’immense plaisir que j’ai eu de les fréquenter au fil de la dernière décennie. Les circonstances ont fait que j’ai eu plus d’opportunités de côtoyer Laurence et Audrey. Je garde un intense, mais très agréable souvenir de notre séjour au Brésil lors de leur présentation d’Édredon au festival Fil alors que j’occupais le poste de directeur artistique et général du festival Petits Bonheurs. Toutes nos rencontres sont pour moi de réels moments de bonheur et d’affection.

Je leur souhaite de longues années de création et d’action culturelle, de satisfaction et de plaisir, pour notre plus grand bonheur et celui des tout-petits.

 

Pierre Tremblay