𝙎𝙚𝙧𝙜𝙚
Au tout début il y a eu Serge Marois. J’avais 15 ans. Je l’ai souvent dit : c’est grâce à lui que mon histoire d’amour avec les jeunes publics s’est façonnée. J’ai rencontré Serge et c’est le théâtre que j’ai rencontré. Le théâtre jeune public en particulier. Un choc qui allait déterminer la suite de mon parcours de vie. L’artiste que je suis aujourd’hui, c’est auprès de Serge Marois qu’elle est née.
J’avais 15 ans et je participais à un Marathon-Théâtre pour les adolescents, à l’Arrière-Scène. Serge nous dirigeait. Nous découvrions les métiers du théâtre, distribués en petits groupes d’apprentis scénographes, metteurs en scène, auteurs, comédiens… Nous habitions littéralement l’Arrière Scène de nos imaginaires, de nos énergies rassemblées, et j’ai un vif souvenir de me sentir chez moi partout dans ce lieu. La scène, la salle, les coulisses… même les bureaux qui embaumaient les cigarettes de Serge! Ce Serge, avec sa voix caverneuse, ses cheveux en bataille et ses commentaires incisifs, on le trouvait si excentrique! On l’appelait Papy Hot, lui qui avait tant de style.
L’année suivante, un nouveau projet. Nous montions un texte de notre jeune camarade David, mis en scène par Serge, pour aller présenter un spectacle au festival Ébauches de l’An demain au TJP de Strasbourg, alors dirigé par Grégoire Callies, un grand marionnettiste et créateur notoire du milieu jeune public. Déjà si jeune je plongeais dans le monde des très grands! Et en France par dessus le marché !
En parallèle de ce processus, Serge montait Pacamambo de Wajdi Mouawad. Il a tenu à inviter toute notre petite troupe d’ados à assister à ce spectacle tout neuf, question de voir son travail, voir du théâtre jeune public. Ça faisait partie de sa mission auprès de nous, c’était essentiel. Je ne me suis jamais remise de ce choc. Pacamambo. J’avais 16 ans et je me retrouvais dans une salle remplie d’enfants de 9 ou 10 ans a qui on parlait de la mort la manière la plus belle, la plus dure et la plus lumineuse à la fois. En moi, tout s’emboitait, tout faisait sens. La conscience qu’on peut aller jusque là avec les enfants, qu’on doit y aller, en fait. La rigueur artistique, l’affirmation esthétique. La poésie, la beauté, la violence. C’est là, assise dans le noir, moi-même à peine sortie de l’enfance, que j’ai eu l’appel. Dès lors, le monde du théâtre jeune public serait mon centre d’intérêt. Je lisais Michel Bélair dans Le Devoir, je faisais des travaux scolaires sur le sujet, j’épluchais les revues de théâtre JEU à la bibliothèque en quête de textes sur le théâtre jeune public…
Quand j’ai commencé à réellement envisager d’œuvrer dans le milieu, c’est avec Serge que j’ai partagé mes doutes et mes envies. Il m’a toujours accueillie avec ouverture, écoute, encouragements, sans jamais m’orienter mais en étant simplement attentif, me prenant là où j’étais dans mes réflexions.
Puis quand nous avons créé Édredon, en 2010, Serge a été parmi les premiers à nous faire confiance et à accueillir notre spectacle, nous qui étions alors inconnues. Édredon a tourné pendant près de 10 ans. Édredon a été le premier geste artistique des Incomplètes dans le monde du théâtre jeune public. Si Serge ne nous avait pas fait confiance, serions nous ici aujourd’hui?
Serge a été l’étincelle. Le rôle qu’il a joué dans ma vie est immense. S’il n’avait pas été là, je ne serais assurément pas au même endroit. Je n’aurais peut-être jamais rencontré le théâtre pour enfants !
Ce qui me reste de Serge est un trésor inestimable. Rigueur, engagement, passion, intégrité, audace. Et surtout, il m’a dit un jour : on a le droit de tout dire aux enfants mais jamais on ne doit les laisser dans le désespoir. C’est ce qui me guide comme artiste et maintenant, comme maman.
Serge ton départ me bouleverse. J’espère que tu as trouvé le chemin pour Pacamambo. Et que tu y es bien.
Merci pour tout ce que tu m’as donné».
-Laurence