11 novembre.
Embarquement immédiat en direction de Matimekush sur la Côte-Nord.
Il s’en est fallu de peu pour que ce séjour ne se fasse jamais. Mais à force d’entêtement, de persévérance, à force de s’accrocher parce qu’on veut faire sens, on a réussi.
Il y a deux ans, nous déposions une demande au Ministère de la culture pour réaliser un projet de création en art sonore avec des enfants dans quatre communautés innues de la Côte-Nord. En partenariat avec l’Institut Tshakapesh, nous avons inventé ce qui devait être la première étape d’un grand projet d’art audio échelonné sur plusieurs années, qui rassemblerait des enfants de différentes régions du Québec et du monde, avec qui nous souhaitons cocréer des paysages sonores, bâtis à même leur vision du territoire où ils vivent. Les initier à l’art sonore dans une dynamique de co-création avec des artistes audio, les amener à réfléchir à leur appartenance à leur territoire, les convier dans une aventure de création où leur voix, leur regard sur leur monde est la matière première. Donner un espace aux enfants pour qu’ils se fassent entendre, eux qu’on écoute si peu.
On connaît la suite. Pandémie mondiale. Confinements répétés. Attente des vaccins. Communautés autochtones fermées aux non-résidents. Report du projet et de la subvention, une fois, deux fois, trois fois…
Septembre 2021, on peut enfin réactiver le projet. Le calendrier ne permet plus de visiter quatre communautés, mais seulement deux. Le Ministère exige qu’on réalise le projet avant la fin décembre. Ni les artistes ni nous n’avons de disponibilités pour plus de deux séjours de deux semaines.
On va s’organiser.
Recontacter le partenaire.
Réexpliquer le projet, encore.
Redéfinir le cadre parce que le projet est finalement trop exigeant : le temps de classe est devenu tellement précieux après des mois d’école à distance, les retards scolaires des élèves sont effarants.
Comment voulez-vous qu’un enseignant.e sacrifie des cours de français, de math, d’innu au profit d’un projet artistique, si beau et motivant soit-il ?
Et l’étau de la logistique de projet qui se resserre de plus en plus… Partir début octobre est de plus en plus irréaliste… Annuler le projet semble devenir une option…
Puis le 21 septembre, miracle, le partenaire nous met en lien avec Ulrich Bounguili, enseignant à l’École Kanatamat à… Schefferville. Au départ, on est juste tellement contentes d’avoir une école motivée à en savoir plus sur le projet et potentiellement à nous accueillir! Puis on réalise… Schefferville… C’est à 500 km au nord de Sept-Îles!!! Mélange d’excitation et de découragement. Monter à cinq artistes là-haut, pour deux semaines… les coûts sont énormes. On ne pourra pas visiter une autre communauté en plus, faute de temps et d’argent. Mais le ministère accepte cette modification au projet. Et nous choisissons d’investir. Autrement, on ne peut pas le faire.
9 novembre. À deux jours du départ, nous avons Audrey et moi eu un entretien en visio conférence avec Ulrich et sa collègue Thérésia. Lui est Gabonnais d’origine, elle Sénégalaise. Ils sont tous les deux, comme qui dirait, tombés en amour avec la Côte-Nord et avec les élèves. Leurs yeux pétillants et leurs sourires trahissent bien leur engagement auprès des jeunes, ils semblent prêts à tout pour qu’ils vivent des expériences riches, nouvelles, motivantes, qui leur permettent de se développer à leur plein potentiel. Cet appel vidéo d’une heure à peine nous a confirmé que nous avions bien fait de nous accrocher et d’aller au bout de ce projet, alors que tout nous disait d’abandonner. Nous sommes attendu.es, par des profs qui sont reconnaissant.es de ce que nous amenons à l’école.
Sentiment profond de n’avoir pas fait tout ce chemin pour rien.
Nous ne savons pas exactement de quoi seront faites ces deux semaines à Matimekush. On a beau s’être préparés, on sait d’expérience que dans une école innue, le quotidien est ponctué d’imprévus. Serons nous en mesure d’accompagner les jeunes dans la création de paysages sonores ? Serons nous capables de les guider dans leur réflexion sur le territoire? Serons nous même capables de les intriguer suffisamment pour qu’ils aient envie de plonger dans le projet ? Il n’est pas impossible qu’ils soient tellement gênés qu’ils éviteront de venir à l’école pour ne pas nous voir !
Tout ce que nous savons, c’est que les rencontres que nous ferons là bas seront marquantes. Que nous sommes attendu.es avec impatience, ouverture et respect par les enseignant.es. Que nous partons avec une équipe de rêve, des artistes que nous aimons et respectons profondément. Que nous devrons chaque jour nous adapter et nous réorienter. Que nous nous embrasserons des paysages comme on n’en a jamais vu. Qu’on fera de notre mieux, chaque jour, pour faire sens, pour apprendre, pour que notre présence là bas ne soit pas inutile.
On traversera le pont rendu à la rivière, comme on dit. Et s’il faut, on nagera. Mais on se rendra et ce sera extraordinaire.